µ-colloque du 14 décembre 2024
Il y a tout juste un siècle, en 1924, Louis de Broglie publiait sa thèse : recherches sur la théorie des quanta. C’est dans cette thèse que se trouve l’hypothèse qu’à toute particule de matière est associée une onde dont la longueur d’onde est le rapport de la constante de Planck sur sa quantité de mouvement. Une brique de plus dans l’édification de la Mécanique Quantique alors naissante.
Le 14 décembre 2024, dans les locaux de la Société Chimique de France, au 250 rue St Jacques (75005 Paris), nous aurons le plaisir de consacrer une demi-journée à Louis de Broglie et surtout d’insister sur une partie peu connue de : l’approche déterministe de la mécanique quantique qui préserve une vision réaliste. Très différente de l’interprétation de Copenhague qui est le plus souvent la seule enseignée et transmise, nous verrons ce que cette approche, qualifiée d’incongrue par certains, peut apporter à la science d’aujourd’hui, et quels peuvent être les apports pédagogiques qui peuvent en être tirés.
Adrien Vila Valls
Professeur des écoles, ancien membre du laboratoire S2HEP (Université Lyon 1)
Louis de Broglie, l’onde et le corpuscule
Nous reviendrons sur la carrière atypique de Louis de Broglie, qui a émis l’hypothèse de l’aspect ondulatoire de la matière dès 1923. Cette hypothèse a débouché, comme on le sait, sur la formulation par Schrödinger de la mécanique ondulatoire. Face à l’interprétation probabiliste de la fonction d’onde proposée par Max Born, Louis de Broglie a développé en 1927 une interprétation alternative, dite « de la double solution », qu’il simplifiera dans une version dite de « l’onde pilote » avant de l’abandonner rapidement. Cette théorie sera redécouverte et étoffée en 1952 par David Bohm. Nous verrons comment la pensée de Louis de Broglie sur les « ondes de matière » a évolué pendant ces décennies.
- Vila Valls A., Louis de Broglie et la diffusion de la mécanique quantique en France (1925-1960), thèse de doctorat de l’Université de Lyon, 2012.
- Vila Valls A., Louis de Broglie a-t-il adhéré à l’interprétation de Copenhague (1928-1952) ?, Cahiers François Viète, II-4 | 2013.
Virgile Besson
Libraire indépendant, ancien membre du laboratoire S2HEP (Université Lyon 1) et du LACIC (Université Fédérale de Bahia)
La genèse de l’interprétation causale de la mécanique quantique dans les années 1950 : d’un conflit de priorité à une collaboration de circonstance
L’interprétation causale de la mécanique quantique est connue pour être l’une des principales alternatives à l’interprétation standard de la mécanique quantique dans les années 1950. Cette théorie permet pour ses partisans de préserver un mode de description réaliste des phénomènes physiques hérité de la physique classique. De 1952 jusqu’au milieu des années 1960, David Bohm et un groupe de physiciens français à Paris autour de Louis de Broglie et de son jeune assistant Jean-Pierre Vigier ont collaboré au développement de la théorie. La genèse de cette coopération sera évoquée au cours de cette présentation.
De Broglie est, en France, l’un des principaux défenseurs de l’interprétation probabiliste de la mécanique quantique. Il semble avoir définitivement abandonné toute tentative de décrire le monde quantique de manière déterministe depuis 1927, après l’échec de sa théorie de l’onde pilote, dont la théorie des variables cachées de Bohm publiée en 1952 est une version améliorée. Cependant, en l’espace de quelques mois, entre l’été 1951 lors de la réception d’une version avant publication de Bohm et la fin de 1952, il reconsidéra son opinion et décide de revenir à son ancienne théorie. Plus surprenant, de Broglie s’entoure exclusivement de physiciens marxistes, lui qui appartient à une lignée aristocratique et qui n’a jamais exprimé aucune sympathie pour le communisme. Dans ses écrits ultérieurs, de Broglie relate qu’il était convaincu à la fois par les améliorations théoriques proposées par Bohm et par une suggestion faite par Vigier selon laquelle la théorie pouvait être reformulée dans le cadre de la relativité générale, ouvrant de nouvelles perspectives inattendues dans l’unification des quanta et de la gravitation. Tous ces acteurs ont de surcroît en commun une approche réaliste des théories physiques.
Ce point de vue est également celui que l’on retrouve majoritairement dans la littérature traitant de cette période. En m’appuyant sur la correspondance entre les différents acteurs, je montrerai cependant que cette collaboration est dans un premier temps le produit d’une alliance de circonstances, guidée par les intérêts stratégiques des uns et des autres. Bohm et de Broglie se considéraient comme des adversaires, en raison d’un conflit de priorité évident. Les communistes français, s’ils partageaient la méfiance de Bohm et considéraient de Broglie comme un ennemi de classe, avaient besoin de lui. Pour ces jeunes physiciens, son soutien serait une aide majeure pour obtenir une légitimité scientifique ainsi que des crédits. Dans les années 1950, le prix Nobel français était encore une figure majeure du paysage scientifique avec une position institutionnelle privilégiée.
Besson V., L’interprétation causale de la mécanique quantique : biographie d’un programme de recherche minoritaire (1951–1964), thèse de doctorat de l’Université de Lyon, 2018.
Franck Laloë
Laboratoire Kastler Brossel, ENS et CNRS (chercheur émérite)
L’interprétation de de Broglie et Bohm (dBB) de la mécanique quantique
Chacun connaît les succès spectaculaires de la mécanique quantique, à la fois en termes de compréhension fondamentale des phénomènes physiques et d’innombrables applications. Elle est à la base de toute la chimie moderne. Pourtant, un siècle après son introduction, elle continue à poser des problèmes conceptuels difficiles, et fait toujours l’objet de débats concernant son interprétation. Quel est le statut de la fonction d’onde, représentation directe de la réalité physique ou seulement un résumé de nos connaissances concernant les résultats de mesures futures ? Comment comprendre l’absence de QSMDS (quantum superpositions of macroscopically distinct states), c’est-à-dire de chats de Schrödinger, que semble autoriser le formalisme quantique ?
Nous présenterons un résumé de l’une des tentatives majeures pour répondre à ces questions, l’interprétation de Louis de Broglie, plus tard enrichie et perfectionnée par David Bohm (théorie dBB). Elle complète la mécanique quantique standard en ajoutant dans sa dynamique des variables supplémentaires, qui sont des positions de particules, tout en conservant toutes les prédictions standard pour les probabilités des résultats de mesure. Ces positions sont guidées par la fonction d’onde de façon parfaitement déterministe, mais comme leurs valeurs initiales sont inconnues, les prédictions de la théorie restent probabilistes. On peut cependant tracer des trajectoires qui illustrent divers aspects intéressants de la théorie, notamment ceux relatifs à la non-localité quantique ; on peut même dans certains cas utiliser la théorie dBB comme un outil de calcul commode [2], y compris en cosmogenèse quantique.
Cette théorie est cependant loin d’être considérée comme standard en physique, ni même enseignée la plupart du temps. La raison est qu’elle n’a pas pu être étendue à la théorie quantique relativiste des champs, qui est considérée comme la théorie quantique fondamentale (l’équation de Schrödinger n’en étant qu’une approximation). Certains ont toutefois spéculé qu’elle pourrait permettre d’incorporer dans un même cadre théorie quantique et gravitation, dont l’unification reste toujours un problème de la physique actuelle.
- [1] F. Laloë, Comprenons-nous vraiment la mécanique quantique ?, EDP Sciences (2017) ; chap. 11.
- [2] Bensemy, Albareda, Sanz, Mompart, Oriols, Applied Bohmian mechanics, The European Physical Journal, 68:286 (2014).
Alain Le Rille
Enseignant au lycée Saint Louis (75006 Paris)
Les représentations mentales de l’électron : un choix didactique
Nous partirons des différentes représentations de l’électron, développées historiquement autour des concepts d’onde et de particule. Nous nous demanderons si la mécanique quantique présente des obstacles épistémologiques spécifiques. Nous appuierons sur les concepts de représentations mentales et de stratégies didactiques pour lister différentes typologies d’enseignement de la mécanique quantique.
- Le Rille A., Trois façons de «parler» de l’«objet quantique, Bull. Un. Phys., Vol. 1049 ; décembre 2022 p.1161-1172.
- Laloë F. (2014). « Séance V. La théorie de l’onde pilote de Louis de Broglie et David Bohm » et « Séance VI. La théorie de l’onde pilote : problèmes et difficultés ». In : d’Espagnat B. et Zwirn H.. Le monde quantique – Les débats philosophiques de la physique quantique. Sciences et philosophie. ISSN : 2275-9948 Pages : 211-260.
- Coppens N. (2007). Le suivi des conceptions des lycéens en mécanique : développement et usages d’exercices informatisés. Thèse de doctorat. Paris 7.
- Dars J.-F. et Papillault A. – Le plus grand des hasards Surprises quantiques. Regards sur la science. Belin